Récit de mon périple Italie-Slovénie-Autriche-Suisse, du 12 au 20 août 2006

      

 

       Comment trouver en soi la détermination pour parcourir jour après jour une distance de 220 kilomètres, dévorer les côtes, le vent, éviter les tendinites, malgré une récupération sabotée par l'inconfort des nuits, ma vulnérabilité au climat, au poids du vélo plombé par les sacoches, de cette pesante sensation de coller au sol, esclave de l'inertie pour toute accélération ? Voilà inévitablement les questions qui tournaient dans ma tête et pour lesquelles j'attendais passivement une réponse. Je suis donc parti avec pour objectif 1870 kilomètres et c'est finalement après 2006 kilomètres en terre étrangère, chargé comme un chameau et la bouche pleine de poisse, la peau meurtrie par le soleil, que je rentre, ne sachant plus quoi penser de cette chevauchée.

 

       Ce périple a donc commencé comme il allait se poursuivre et s'achever : dans l'improvisation la plus totale. Je n'ai pas eu le temps de potasser mon itinéraire et je pars comme on arrache une dent car partir a été mon unique préoccupation les jours précédents mon départ. Le ton est dès lors donné : n'avoir comme seul projet en me réveillant que de me laisser porter par l'instant présent. Les règles du jeu : parcourir en moyenne 220 kilomètres par jour et chaque soir, l'urgence de trouver un coin pour dormir, un bois, un champ ou une plage pour monter le bivouac. Le must étant de décrocher quelques nuits chez l'habitant, nourri et logé. Concurrence direct à Antoine de Maximy !

 

       Mes destinations seront Venise, Ljubljana, Innsbruck, Lugano et le lac Majeur. Soit un tracé qui enchaîne France, Italie, Slovénie, Autriche, Suisse, Italie, Suisse, Italie, France. Un itinéraire très exigeant de par son relief, développé principalement en Slovénie, Autriche et Suisse.

 

..

 

       Durant ce voyage, rien ne m'a plus passionné que la bagarre quotidienne avec les kilomètres. Et puis c'est indéniable qu'il existe un bonheur de l'effort, on souffre mais c'est de la bonne souffrance. Le plaisir de se sentir invincible et de faire fonctionner cette merveilleuse machine qu'est le corps humain.

 

       La Slovénie et l'Autriche cultivent l'amour du vélo et il n'est pas une route qui ne soit systématiquement doublée d'une piste cyclable. Et qu'on ne se permette pas de rouler en dehors de ces pistes ! Un vélo sur une route est un sacrilège. Or, l'inconvénient de ces pistes est qu'on n'y avance pas. Toute la population slovène et autrichienne y pédale et les slaloms acrobatiques entre les groupes cassent mon allure. De surcroît, la plupart des pistes que j'emprunte se terminent en cul-de-sac au milieu de champs, font de grands détours, ou sont amplement plus escarpées que les voies principales. La route est devenue une drogue et l'impression de progression me ravit. Il m'arrive alors de pédaler sur quelques kilomètres sur ces nationales et tunnels interdits aux vélos : c'est la commotion. Je déclenche des réactions terribles, les conducteurs sont révulsés. De la sorte, mon voyage s'enlise contre toute attente au fil du tracé joignant Ljubljana à la frontière slovène, un tracé envisagé comme rapide et tout azimut. Ce sera une succession de pistes cyclables incertaines, de routes communales et de petits cols abrupts desservant chaque hameau. L'apaisement viendra du défilement du paysage et des points de vue exceptionnels.

 

 Une surprise est également venue du tronçon reliant Innsbruck à St Moritz que je croyais une formalité confortable et qui se transforme en chemin de croix avec près de 150 kilomètres de faux-plats montants ininterrompus, de côtes, le tout balayé par un vent contraire violent qui me freine considérablement et me coupe les jambes. J'empile des heures interminables de vélo, mais le compteur ne tourne pas, c'est la dure loi du vent, rouler mais ne pas avancer. Les féeriques lacs d'altitudes de St Moritz seront une récompense inattendue et transcendante.

 

       Concernant le climat, mon rapport avec celui-ci sera assez fâcheux car l'Europe semble dégouliner durant ces neuf jours d'août. C'est Waterloo ! Un déluge s'abat quasiment à chaque franchissement de montagne et seules quelques nuits réchappent à la pluie. La veille de mon passage sur Venise, un orage d'une forte violence manque de m'arracher la tente, qui n'a semble-t-il pas compris les vertus des tissus imperméables puisqu'elle se transforme assez rapidement en une passoire cauchemardesque. Nuit blanche. Je grelotte sans pouvoir me contrôler pendant des heures, persuadé que le jour allait se lever d'un instant à l'autre. Puis je scrutais l'heure de mon compteur et me rendais compte que quelques minutes seulement s'étaient écoulées. Les heures parurent interminables

       Il me fallut faire preuve d'une grande discipline pour lutter et gérer cette humidité, de jour comme de nuit, car poussé jusqu'aux limites de mon énergie, j'ai particulièrement souffert de la pluie dans mes vêtements légers.  

 

       Là où une compétition aurait pris fin, à une ligne d'arrivée, mon aventure me demandait un inflexible regain d'énergie pour repérer et établir ma zone de bivouac, anticiper mon ravitaillement en eau, me laver, rassembler mes restes de nourritures, ranger mon attirail, tenter de dormir à même le sol.

 

      Après une semaine passée sur la route, ma détermination acquit une extraordinaire puissance, proche de la pulsion. Rouler, avancer, repartir. Dès lors, je ne fus plus dans le même monde que ceux que je croisais. Dès les premiers tours de roues, j'avais compris que je devrais trouver d'une manière ou d'une autre le courage d'affronter seul ce parcours, sans compagnon de voyage, quelqu'un qui m'aurait rendu plus fort. Dans des moments de faiblesse, il m'arriva de sombrer dans le découragement, l'envi de laisser tomber, avec l'impression de ne pouvoir supporter une minute de plus la fatigue, le froid ou ma condition de sdf. "Tu peux en finir à n'importe quel moment, arrête toi, raccourcis le circuit". C'étaient des pensées séduisantes et réconfortantes, mais je me refusais de m'y adonner trop longtemps. J'adoptais alors le mental du warrior, ne pensant à rien si ce n'est qu'à appuyer sur les pédales et à me concentrer sur ma progression.

 

       Le danger d'un tel périple était qu'il se transforme trop vite en une interminable pleurnicherie sur ma déplorable condition de cyclo-aventurier. J'avais idéalisé ce projet, j'en avais fait une leçon de vie. C'est fort. Le vélo laisse le temps de voir et permet de faire corps avec la nature et le climat. Mais voilà que durant ces neuf jours, j'ai réellement souffert, tant physiquement que psychologiquement, et que dans ces conditions, de l'élan de jeunesse, on a rapidement tendance à s'en moquer un peu. En outre, le risque a été de ne plus voir la montagne mais les côtes à gravir. Désastre compte tenu du nombre d'heures de pédalage quotidien.

 

       Et de ces providentielles nuits chez l'habitant ? C'est en fait l'incertitude de l'endroit qui m'abritera le soir et l'audace que demande ce type d'approche qui me motiveront. La barrière de la langue se révélera également favorable à des situations inhabituelles et imprévisibles. Pourquoi ne pas tenter ? Seules conditions à ces défis : ne jamais se rabaisser et ne pas s'imposer.

 

       Dès la troisième nuit, en campagne proche de la frontière slovène, je rencontre une famille italienne qui accepte de m'accueillir et qui me donne tout, alors que j'arrive avec pour seule recommandation ma crasse et ma fatigue. La gentillesse de ces gens est singulière et autour de moi, on s'affaire de la cave au grenier pour me dénicher un sommier, un matelas une couverture et un gros oreiller. Un coquet petit garage fera finalement office de chambre. Le repas du soir et le petit déjeuner me seront offerts spontanément et c'est avec un certain bonheur et plaisir que je pourrai me doucher dignement le soir même, ainsi qu'avant de reprendre la route. Je deviens malgré moi l'attraction du moment et même les voisins finiront par pointer le bout du nez. Enorme !

       La nuit ne sera pas triste. "Lo tempo terrible" que je disais ! Et il fut ! Une tempête d'une intensité démesurée détone alors que j'étudie comme un coq en patte vautré dans une couverture l'étape de Slovénie et fais le bilan du kilométrage. Ma situation est inespérée, sans doute aurait-elle été idyllique sans la constatation d'un oubli d'une centaine de kilomètres sur l'estimation du tracé. L'heure est grave, il va falloir tenir une sacrée cadence si je veux boucler le tour. Et ce, la veille des étapes de montagne. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Voilà que dans un demi-sommeil, je discerne un bouillonnement au pied de la porte. C'est l'inondation ! Le réveil est difficile. L'eau monte dans la pièce. Venise à midi, Venise à minuit ! Retranché sur mon sommier, je laisse régulièrement tomber ma main du lit pour vérifier le niveau de l'eau qui atteindra allègrement la hauteur des phalanges ! Ne rien voir ! N'avoir rien vu ! Le sommeil me rattrapera, malgré une immense amertume, celle d'avoir étendu à terre ma tente pour qu'elle sèche ! Le lendemain matin, vision accablante d'une région dévastée par de violents grêlons gros comme des balles de ping-pong. Je tournerai la page avec la frontière slovène.

 

       Le meilleur moment de ces incursions chez l'habitant étant celui où je choisis hasardeusement une maison ou un patelin dont la situation semble favorable aux premiers abords à un assaut. Je me plonge alors une dernière fois dans les pages cornées de mon précieux "Guide de la Conversation Italienne" dans l'espoir d'éviter la rencontre du type touriste – indigène !

 

       - Scusi ! … Buonasera ! Français ! Francese ! … Cerco un tetto per la notte !? A roof for the night …

       Il est tard. La scène se déroule à une dizaine de kilomètres après avoir laissé la frontière slovène, territoire limitrophe à la Slovénie, l'Autriche et l'Italie, véritable carrefour des langues. Les derniers rayons de soleil sont vite déboussolés par un épais voile nuageux qui se fait de plus en plus menaçant et une pluie éparse finit par conclure cette journée chargée en coups de pédales puisque plus de 240 kilomètres ont été enlevés. L'hôtel mille étoiles ne sera pas pour ce soir. Advient alors la pensée du jour : "Et si j'attendais la tombée de la nuit pour jouer le pauvre garçon en situation de détresse !"

       20h40. La route serpente dans une épaisse forêt de pins et débouche enfin sur une sinistre bourgade écrasée sous la montagne. Coup de frein. L'inspection des maisons commence.

       20h45. Première tentative et première contrariété. A cette heure tardive du soir, les gens sont particulièrement méfiants et ne se risquent en aucun cas à ouvrir la porte. C'est par la fenêtre de l'étage que débutera un dialogue de sourd qui m'enverra paître chez l'auberge la plus proche. "No posso pagare, soy studente !" La honte ne me tuera pas en effet ce soir là. La discussion est bloquée d'avance. Je laisse tomber.

       20h50. Errance le long de chemins privés et de petites routes pour dénicher une seconde chance. Il fait maintenant nuit noire et seule le clapotis de la pluie perturbe un silence oppressant. Je suis bien loin de ma traversée frénétique d'il y a quelques heures de Ljubljana par les boulevards à douze voies dans un concert de klaxons qui m'indiquent la décousue piste cyclable sur le bas coté. Une sensation inaccoutumée m'envahit, l'impression étrange de rôder en présage d'une agression. J'épie chaque maison, imagine un scénario, apprécie le genre d'individus de par leur véhicule. L'approche est délicate.

       21h00. Je sonne. Je re-sonne. J'attends. Je re-re-sonne et les volets du premier étage s'ouvrent enfin. La situation ne semble pas claire et les regards équivoques annoncent une suite laborieuse. La thèse du clandestin ou du vagabond est de toute évidence la leur. Il s'agit d'un couple d'une quarantaine d'années dont l'ouverture m'incite à poursuivre l'entreprise. Le face à face se poursuit et chavire dans le saugrenu puisque chaque parti parle un charabia franco-germano-italiano-anglais et qu'il m'est impossible de connaître la langue parlée du coin. C'est inouï ! Tous mes espoirs retrouvent un second souffle lorsque le mari prend l'initiative de descendre et m'ouvre la porte pour une discussion sur le palier, d'avantage en confiance et posée. Sa femme, très attentive, restera en second plan.

       La négociation débute mais dévie désespérément sur la table qui accueillera mon assiette. Ces gens me paraissent décidés à m'aider mais moins enclin à franchir le pas de m'héberger. Mes craintes se précisent alors que le mari ne m'offre que le choix de le suivre à une auberge voisine pour y trouver une chambre et un repas. L'établissement en bordure de route est assez glauque et déplaisant, à l'image de la patronne qui malgré un café offert par civilité, affichera complet pour une nuit sans client. Aucun repas ne me sera également servi puisque à mon retour une dizaine de minutes plus tard, une porte fermée me fera comprendre que les cyclo-barbus ne sont pas les bienvenus dans la région. Cette enclave italienne serait-elle contaminée par la mythique hospitalité autrichienne ?! Retour chez les gens et grand ravissement. Le mari dont l'enthousiasme semble avoir remplacé une certaine retenue, vient à ma rencontre pour une visite inopinée de ma chambre à coucher. Le brave homme me propose un somptueux cabanon en bois où s'entreposent planches et outils puis une petite pièce surchauffée abritant la chaudière familiale. Comment ne pas succomber à la chaleur d'une nuit qui sera l'occasion fortuite de sécher mes affaires englouties par l'inondation de la veille ?

       "Opération survie". Mes provisions achetées en zone euro sont maintenant très amoindries, un peu d'eau et voilà encore un de ces détestables taboulés qu'il faudra ingurgiter à satiété avant de dormir et à mon levé. Spécialiste dans le domaine du manger de Petits LU, j'applique la tactique du "je mange d'un côté et tète la gourde de l'autre".

       Je repartirai le lendemain matin de cette contrée d'un autre temps, sans photo de mes hôtes compte tenu de l'avertissement qui me laissa comprendre que l'hébergement d'étrangers est formellement défendu et contrôlé par la polizia. C'est la guerre ! Moi dans le rôle du prisonnier et mon vélo dans celui de la vache en quelque sorte.

 

       Ma cavale de ce mercredi en terre autrichienne se fera au rythme d'une pluie soutenue. La douche tombe dru ! L'étape se révèlera harassante avec passages en altitudes et faux-plats montants, aucun répit bien qu'un temps relativement clément l'après midi. Une pluie fine se mettra à tomber avec la nuit. Ce soir, l'hospitalité autrichienne sera mise à l'épreuve.

       A trop être indécis et à laisser passer des occasions, me voilà sur une route perdue dans une vallée encaissée, sans aucune habitation aux alentours. Heureusement, un panneau indiquant un village à deux kilomètres me décide. J'appréhende. C'est avec l'hésitation du vagabond qui ne sait s'il va trouver des bras ouverts ou un retour de porte que je m'engage sur la petite route descendante qui frôle d'abord une lisière, rentre dans un bois, en sort, longe à nouveau l'orée, coupe des vergers, des champs et enfin des jardins fleuris. Les maisons sont si reluisantes qu'on les croirait chaque matin lavées à la main ! En dépit de l'humidité, j'ôte sacs poubelles et veste imperméable afin de paraître d'avantage cycliste que clochard.

       La situation devient préoccupante. Ce village compte de nombreux restaurants et auberges, ce qui ne sera pas à mon avantage dans ma recherche d'une invitation pour dormir et manger. Les rues sont désertes, difficile d'envisager une rencontre au hasard d'un tournant. C'est peine perdue. Il faut forcer la rencontre.

       Incrédule, je descends une petite allée pour frapper à la porte d'une maison neutre d'aspect. Le contact est encourageant. Un homme âgé m'écoute avec intérêt, saisissant aisément ma situation atypique et l'enjeu de mon entreprise. Il ne pose ni se pose de question. Hélas, le discret hangar que je convoite est très encombré et la demeure trop modeste pour nous accueillir, ma monture et moi. Embarrassé et relativement inquiet, l'homme réfléchit, m'indique à grands gestes les maisons où tenter ma chance. Se dégage un réel engouement pour cet audacieux projet mais ses longs silences trahissent un scepticisme dont le bien-fondé se vérifiera  aussitôt ma péripétie nocturne relancée.

       Je poursuis ma quête dans un silence émietté par le cliquetis de ma roue libre, solidement obstiné à réussir pour m'assurer une récupération décente compte tenu de l'enchaînement d'étapes marathon. Mon périple est en suspens. Je me heurte à des visages fermés, les gens font la sourde oreille ou me repoussent à ma simple vue, avec une agressivité et un mépris qui n'aurait d'égal que si un lépreux venait sonner chez eux ! C'est inconcevable. Je n'ai pas même le temps d'esquisser un seul mot. Ce village semble en état de psychose. Toc toc toc ! Rien. Je persévère. Errance. Les silhouettes à contre-jour m'épient. Voilà une femme qui marche en ma direction. Je prends meilleure allure mais n'ai-je pas eu le temps de croiser son regard qu'elle fond en furie me beuglant de déguerpir de devant son portail comme à un chenapan ! Je vais me réveiller. Il est 21h00 passé. Je suis accablé sans autre choix que de poursuivre. Je croise enfin un jeune homme qui m'accorde un instant mais celui-ci doit s'absenter. Retour chez mon premier contact. La porte m'est ouverte chaleureusement et la longue méditation reprend son cours. "… !?" L'entrevue se conclura par un haussement d'épaule. 

       Une pluie fine tombe sans relâche, j'ai les cheveux chargés d'eau, les pommettes qui ruissellent, le regard agressif. La situation m'échappe. Action. "Vite ! Va planter ta tente n'importe où ! " Je me dirige vers une vigne que je discerne vaguement en contrebas à travers une nuit quasi-opaque. "…, … et … !". Le désarroi d'avoir échoué.

       Alors que tout semblait m'avoir abandonné, survient la rencontre providentielle. Voilà qu'accompagné d'un molosse, un homme d'une trentaine d'année passe à ma hauteur puis s'approche interpellé par mon équipement. L'homme m'a pris de court. Pas besoin d'explications. Une nouvelle fois le mot hospitalité va retrouver son plein sens et entier. Cela commence par l'invitation à m'installer pour la nuit dans la bâtisse en construction de son frère. Nous sympathisons. Quel revirement de situation, si soudain et inespéré ! Je suis avec jubilation mon Saint Bernard qui m'ouvre le chantier et me fait la visiter des lieux. Toute la maison pour moi ! La salle de séjour est bien, spacieuse. Cela se poursuit par l'offre amicale de deux sandwichs et d'une part de pastèque. Le rêve continue. Une grosse bougie cubique est allumée sur ma "planche-table" et beigne l'espace d'une lumière tremblotante. Nous cherchons en vain une plaque d'isolation pour m'éviter de dormir à même le sol. Peu importe, j'ai trop sommeil. Une photo souvenir de ce personnage étonnant puis vient l'adieu avec le bafouillement d'un sensationnel "Bon voyage !" Terrible !

       De cette nuit, je brandirai néanmoins un mérité carton rouge à l'Autriche pour sa singulière hostilité envers les étrangers. Dès le soir suivant, j'opterai pour la facilité et bivouaquerai jusqu'à mon retour en France.

 

       Dimanche 15 heure, j'atteins l'entrée du tunnel de Tende. Je me tiens devant le poste de douane. Le panneau FRANCE est là. Quelle virée ! J'y ai perdu mes derniers lots de graisse. Moins deux kilos depuis mon départ. Les muscles du quadriceps sont saillants, les vastes intérieure et extérieure sont décharnés, fuselés, le droit antérieur se fige à chaque contraction. La mécanique est rodée. Neuf jours ont suffi à me transformer en machine à pédaler. Je me surprends à regretter d'avoir été trop prudent durant ce voyage car j'avale les dernières centaines de kilomètres d'un trait, avec hargne et me plait à penser qu'il était à ma portée d'établir une moyenne quotidienne de 250 kilomètres.

 

       Un tel périple est généralement perçu comme très enthousiasmant au regard des personnes qui m'ont croisé ou auxquelles j'ai confié mon idée, ce qui m'a agréablement soutenu. Toutefois, je sais d'expérience que beaucoup de cyclistes accusent ce type de projet de mettre en avant uniquement la performance sportive et de délaisser le plaisir et la contemplation. Comment peut-on pédaler autant d'heures sans penser à autre chose que pédaler ?  Je répondrais que bien évidement tout dépend de l'entraînement que l'on dispose et donc de l'état dans lequel on voyage. En outre, la longueur invite à la curiosité car tue la lassitude. Ainsi, 220 kilomètres paraîtront rebutants soit par manque d'entraînement, soit par absence d'intérêt. Enfin, il est indéniable que l'urgence et le stress physique et psychologique favorisent les situations les plus fortes émotionnellement.

 

Ce défi cycliste m'a de la sorte offert une incroyable expérience, avec des conditions de précarité assez écrasantes, sans musique, sans confort, sans personne, qui m'ont appris à être réceptif et à canaliser mon intérêt sur le caractère des espaces traversés. Un retour aux sources que cette société dans laquelle nous vivons nous fait trop souvent oublier. fin

 

 

Dans la rubrique...

 

Ce que j'aurai dû prendre

P   Une lampe

P   Une trousse à pharmacie

P   Un téléphone portable

P   Une carte plus détaillée (> 1mm = 1km)

P   Une crème solaire

P   Une huile de camphre

 

Ce que j'aurai dû faire

P   Répertorier les difficultés du tracé

P   Feuilleter mon guide italien avant de partir

P   M'acheter une seconde paire de chaussettes après en avoir perdu une

P   Stopper ma consommation excessive de raisins pas mûrs et de Nutella

P   Mémoriser le quartier où j'abandonne négligemment ma jolie Twingo blanche

P   Rebrousser chemin dès le premier jour ! lol

 

Ce que j'ai dépensé  11+ 11 + 15 + 13 = 50 euros

(les p'tits gâteaux et sodas achetés en épicerie en sont pour beaucoup !)


  

Quelques photos

 

 

Lac de St Moritz 

 

C'est beau mais coriace !

 

Bivouac bucolique en bordure d'un verger, au grès du hasard

Cueillettes de prunes, pommes et raisins pas mûrs m'occuperont quasiment à chaque bivouac

 

Venise et mon amour de vélo

 

Mon Saint Bernard d'Autriche

 

Les grands classiques (où est le Nutella ?!)

 

Bivouac sur les hauteurs de Lugano, dans une réserve biologique

Il pleuvra durant la totalité de la nuit, noyant les craquements de branches au tintement des goutes d'eau. Bonne nuit!

 

Ma nuit clandestine en zone frontalière, au pied d'une chaudière 

 

C'est gagné pour ce soir. Un tit coup et au lit!

 

L'un des effets des mauvaises conditions climatiques quotidiennes

 

Mes sacoches et leurs irremplaçables sacs poubelles

 

Première nuit chez l'habitant: l'inondation      

 

 

Douche improvisée contre une cabane de verger

 

 

La Slovénie et ses pistes cyclables    

 



23/09/2007
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